Karôshi - Karojisatsu : 

la mort par surmenage

Arrivée à Tokyo


     4 mars, le jour de l'arrivée

     Jour 1 : Aterri-pren-tissage

     Nathalie à Tokyo

Entretien sur le surmenage


Rencontre avec Cayo


Cayo, cadre supérieure pour une société internationale de service aux entreprises, en charge du pilotage de l’organisation des prestations vendues aux clients.

Ce premier entretien est consacré au surmenage professionnel.

Cayo parle avec spontanéité des évolutions de la relation au travail et spécifiquement des amplitudes excessives des horaires de travail pour les hommes spécialement.

« A Tokyo, les familles habitent souvent à 1H00 de trajet de leur lieu de travail. Les hommes démarrent leur journée vers 8H30 en moyenne et rentre fréquemment vers minuit dans leur famille", dit-elle. "Ils ne profitent pas de leurs enfants, ni de leur femme la semaine. Le week-end un peu plus, même s’il n’est pas rare qu’ils travaillent également le samedi ». Elle poursuit : « Un japonais n’aime pas ne pas pouvoir finir un travail qui lui est confié, c’est vécu comme un échec. Par ailleurs, il peut subir des pressions fortes de son environnement hiérarchique pour atteindre les objectifs de productivité qui lui sont assignés ». Aussi, les heures supplémentaires viennent largement dépasser les horaires « normaux ». C’est une des raisons principales qui expliquerait que le surmenage touche un grand nombre de professionnels hommes notamment depuis plusieurs années. Les femmes sont aussi concernées dans une moindre mesure car elles sont moins au travail.

Des situations professionnelles précaires


"A ceci s’ajoute, une nouvelle forme de travail plus précaire en « style CDD »" souligne Cayo qui ne permet pas, compte-tenu des salaires assez bas de nourrir une famille. La précarité se développe depuis 10 ans sans garantie de véritable assurance chômage. Les heures supplémentaires ou plusieurs métiers cumulés expliquent le surmenage professionnel. Il n’est pas rare de dépasser de 100 heures le travail mensuel. Longtemps connu pour ses «contrats réguliers » synonymes « d’emploi à vie », le Japon connait une inflexion majeure.

Dans la tradition japonaise, l’épouse ne travaillait pas car son époux pourvoyait au besoin de la famille. De plus en plus les femmes travaillent, mais c’est assez récent dit Cayo, pour compenser les manques de revenus. Ceci est parfois très mal vécu par les époux, et ceci conduit aussi dramatiquement au suicide ou à la mort subite par excès de travail.

Image surmenage capital homme karôshi Karojisatsu

Regard sur les chiffres et les statistiques


...sur le temps passé

Selon le l’OCDE (Stat Database 2011), en 2009, les travailleurs japonais ont travaillé en moyenne 1 733 heures alors que les travailleurs français ont travaillé 1469 heures soit plus de 18% d’heures travaillées. Pourtant, en pratique, le temps passé au travail reste encore en moyenne aux alentours de 2000 heures par an pour les travailleurs japonais. Aussi maintenant environ un tiers de la population active est constitué de travailleurs temporaires (« travailleur irréguliers »)

...sur les causes du stress

En 2007, le Ministère de la santé, du travail et des affaires sociales japonais a réalisé une enquête sur les sources du stress causé par le travail. Selon cette étude, 60 % des travailleurs ressentent une forte anxiété ou un important stress résultant de leur travail ou leur mode de vie au travail. Les situations de ce type étaient causées par les relations interpersonnelles au travail (38.4 %). La qualité du travail (34.8 %) et la charge de travail (30.6 %) sont la deuxième et troisième raisons. Suivent ensuite l’avenir potentiel de l’entreprise (22.7 %), l’aptitude au travail (22.5 %), les promotions ou les augmentations de salaire (21.2 %), la vie après la prise de la retraite (21.2 %), la sécurité de l’emploi (12.8 %), les transferts (8.1 %), l’expérience en lien avec un accident du travail (2.3 %).

...sur le suicide

Plus de 20 000 personnes se suicident chaque année pour surmenage professionnel soit un ratio de 18,5 pour 100 000 personnes en 2015.

Ces chiffres posent le problème du lien entre le travail et le suicide. Le travail d’enquête au Japon est confié aux services de police qui déterminent les facteurs déclencheurs du passage à l’acte. Seulement une petite partie de ces enquêtes révèle un lien déterminant entre le suicide et le travail. En conséquence, tous les suicides potentiellement causés par le travail ne sont reconnus pas comme tel, en outre toutes les familles ne portent pas forcément plainte ou ne demande pas la reconnaissance du caractère de maladie professionnelle. Le Japon a néanmoins le mérite de disposer des statistiques depuis plusieurs années sur le sujet que la France ne possède pas.

Une histoire de rhume psychologique


Je demande à Cayo, s’il existe des soutiens ou des mesures de prévention dans les entreprises. Elle sourit, me répondant que la dépression est seulement depuis très peu considérée comme une maladie, et qu’elle s’appelle « le rhume psychologique ».

L’expression « risques psychosociaux » déroute certains acteurs du système de santé- sécurité au travail au Japon. Les syndicats, le Ministère de la santé, du travail et des affaires sociales et les avocats ne sont pas accoutumés à la notion et n’envisagent que les questions de karôshi, de karojisatsu et de « Power Harassment ».

Cayo nous explique que les travailleurs réguliers ont généralement plus de responsabilités que les travailleurs irréguliers, mais comme le nombre de travailleurs régulier diminue, alors les travailleurs temporaires se sont aussi mis à travailler plus que la durée légale de travail. Les entreprises japonaises sont ainsi devenues plus compétitives. La crise économique japonaise et la crise mondiale ont poussé les entreprises à réduire leur effectif. Les salariés travaillent beaucoup plus. Les salariés réguliers sont très coûteux pour les entreprises japonaises car ils travaillent dans la même société depuis la sortie de l’université et perçoivent un salaire élevé alors que l’entreprise n’a pas forcément besoin d’eux. Ces travailleurs commencent en bas de l’échelon, puis grimpent tous les échelons. Ce mécanisme fonctionnait, mais jusqu’à un certain point car à un moment donné, la carrière était bloquée et le salarié passait toute sa vie dans l’entreprise sans changer d’échelon, ce qu’il vivait très mal.

capital homme burn out karôshi Karojisatsu
surcharge de travail capital homme angers karôshi Karojisatsu

La mort par surcharge de travail


Selon le rapport L.Lerouge pour le programme ANR COMPARISK, dans le même temps, le nombre de karôshi (mort subite causée par la surcharge de travail) a augmenté, notamment du côté des managers. Une autre raison de l’augmentation des problèmes de santé mentale au Japon vient de la société japonaise en elle-même qui est très stressante. Les nouvelles technologies ont réellement pénétré les entreprises japonaises ces dix dernières années et ont augmenté la cadence. Le résultat a aussi été la réduction de l’espace d’autonomie des employés. L’environnement de travail est donc devenu très stressant auquel il faut ajouter les contraintes de délais (la question des « deadline ») et le haut niveau de qualité pour satisfaire aux clients.

Enfin, longtemps de par les carrières longues (travail à vie dans la même entreprise), le lieu de travail a été conçu comme une famille. Auparavant, le travailleur confronté à une difficulté avait toujours quelqu’un qui allait essayer de trouver une solution au problème. Désormais, le monde du travail devient très individuel et le travailleur en difficulté ne trouve plus personne pour résoudre le ou les conflit(s). Ce qui entraîne une augmentation des troubles de la santé mentale en lien avec le travail. Les salariés sont très fatigués après le travail et vivent souvent seuls désormais. Il s’agit d’un autre changement de la société japonaise par rapport aux décennies précédentes. Les travailleurs vivent seuls, n’ont plus de vie collective et sociale. En somme, les travailleurs japonais restent stressés et n’ont plus d’occasion de se changer les idées et de se relaxer. Les deux grandes origines du mal-être des travailleurs japonais sont le harcèlement sexuel et le stress causé par les relations interpersonnelles.

Des mesures pour enrayer ces drames


Le mois dernier, en présentant les conclusions d'un comité spécial mis en place en septembre 2016 pour lutter contre les risques de mort par excès de travail (karoshi), le Premier ministre Shinzo Abe s'est félicité d'une étape historique pour réformer la façon de travailler. Le gouvernement a demandé aux employeurs de limiter le nombre d’heures supplémentaires mensuelles à un maximum de 100 heures. Le gouvernement a blacklisté une liste noire de 300 sociétés, pour les heures supplémentaires illégales.


En juillet 2017, le gouvernement japonais a approuvé un plan visant à freiner les heures extrêmes de travail et de réduire de 30% les suicides sur 10 ans. Le gouvernement japonais s’est fixé un objectif de 13 pour 100 000 personnes d’ici à 2025.

Selon le rapport économique 2015 sur le Japon de l’OCDE, parmi les 10 mesures stratégiques de revitalisation du pays :

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  • Améliorer le taux d’activité et les perspectives de travail des femmes : créer un cadre de travail incitatif pour les femmes qui élèvent des enfants et améliorer l'environnement des entreprises afin d'offrir de meilleures perspectives de carrière aux femmes sur le lieu de travail.
  • Autoriser les pratiques de travail flexibles pour alimenter la réserve de talents : organiser le travail de façon plus créative et faire en sorte que la performance compte davantage que le nombre d'heures passées au travail. Diffuser et promouvoir de nouveaux modèles « d'emploi régulier diversifié », avec de nouvelles fonctions, etc. Mettre en place un système transparent et reconnu de résolution des conflits du travail.

Les subventions auparavant destinées au maintien de l'emploi sont maintenant utilisées pour promouvoir la mobilité professionnelle.

Les mesures prises pour éviter la surcharge de travail seront renforcées, et il est prévu que le gouvernement étudie la question des horaires flexibles et des horaires à la carte. Le gouvernement proposera pour les postes à haut niveau de qualification la mise en place d'un système d'évaluation professionnelle fondé sur les performances, en lieu et place des heures travaillées.

Renforcer le secteur de la santé et améliorer les services dans ce domaine : il est prévu de mettre en place un nouveau régime d'assurance maladie qui permettra aux patients d'accéder plus rapidement aux nouveaux traitements non encore pris en charge par le système public. Une nouvelle institution chargée de la R-D dans le domaine de la santé a été créée.

Les mots pour le dire


Côté pro

Le « karôshi » est une mort subite causée par une surcharge de travail et de la fatigue accumulée par trop de travail. Le karôshi peut atteindre n’importe quel travailleur, col blanc ou col bleu. Cependant, le karôshi frappe essentiellement le cadres moyens ou supérieurs, homme dans la classe d’âge 40-50 ans ou bien les travailleurs plus jeunes entre 20 et 30 ans.

Le « karojisatsu » est un suicide causé aussi par la surcharge de travail. Le suicide connaît un taux extrêmement élevé au Japon, voire le plus élevé au monde, mais le phénomène karojisatsu rend l’acte suicidaire directement lié au travail, non pas forcément pour des questions de harcèlement, d’humiliation ou d’atteinte à la dignité, mais bien en raison de la surcharge de travail.

Dans le quotidien nippon

Plus d'infos

Loïc Lerouge, Chargé de recherches CNRS-HDR

Champ de recherche : Droit du travail, Droit de la Sécurité sociale, Droit de la santé

Thèmes principaux de recherches : Droit de la santé au travail, droit social et santé mentale, transformation du travail et santé mentale, précarité du sport et droit du sport. Droit du travail et de la protection sociale national, européen, international et comparé.

Capital Homme peut prévenir de ses risques qui peuvent être au départ identifiés comme un Burn Out. Un accompagnement individuel dans un cadre sain, bienveillant et de confiance avec un coach à l'écoute est la solution que nous proposons pour lever les freins et vous permettre d'évoluer dans vos projets.



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